Il glissa son petit pied dans une chaussure montante en cuir blanc glacé. Elle serra les lacets. Son pied saisi, bloqué, essaya de vriller. Un arceau le reliait à l’autre pied, ce pied jumeau ficelé lui aussi dans sa gangue. Les œillets des chausses le regardaient, glauques, de leurs yeux vides. Son regard fondit dans l’abysse. Il était temps qu’une berceuse l’appareille. Elle l’embarqua dans un sommeil métallique où des androïdes cisaillaient des chairs, les nickelaient. Des cliquetis, parfois un cri. Sa chambre jouxtait un cabinet dentaire. Ses patins à glace en arabesques se détachaient. La glace dans un bruit de silex crissait. Il dessina un orbe. Le reprit, le lissa, l’éroda. Soudain le plan chavira, une plaque d’égouts s’échouait en radeau dans une nuit absente. Une gangrène transparente silencieuse, se faufila, s’emparant de son pied. Rose il se détacha, gris ensanglanté. La lame luisante du patin l’empala. Une pince d’insecte brillante se soudait à la chair, jouait des mandibules épelant un alphabet en lettres capitales. Maintenant il écrivait « Le carnet de bord d’un survivant » tandis qu’une sirène oscillait hippocampe, dans sa chaise haute d’enfant, l’observant tiré à quatre épingles comme suspendu aux fils d’un marionnettiste. Leurs anatomies de squelettes, d’écorchés, de fils magnétiques, blancs bandages, pansements noués, troublaient les cadavres exquis, au propre et au figuré, qui saillaient de leurs silhouettes d’ocre, de sang, d’ardoise et de sienne. Il s’appliquait encore à son journal, narrant l’évolution altérée de sa statue vivante, décryptant sa mutation tragique et pulsionnelle, celle de son corps meurtri qu’il adaptait comme un naufragé pousse son souffle à la pointe de la vague avant qu’il ne râle. Un poumon artificiel, un cœur mécanique, une engeance double et dénaturée, protéiforme, aux prothèses prophétiques. Il se vivait ainsi, saturé d’arguments ésotériques et brulait ses instincts primordiaux aux méandres de l’aventure humaine dénaturée. Dans une pirouette, il se frotta à l’avenir, sa langue glosait avec ironie ses métamorphoses, sa glotte ouverte, planche en couleurs se lisait comme clouée entre quatre planches. Il se défeuillait en fines lames de schistes telles de multiples frondaisons d’où surgissaient milles pattes d’inquisiteurs invertébrés aux ailes d’infrastructures futures. Puis en couple, avec la sirène d’albâtre, ils tanguèrent puis copulèrent mettant bas des histrions qui couraient le cotillon. Dans un éclat de rire, boitant, il se transmua et se retrouva scellé, pétrifié, saisi par thanatopraxie, dans une boîte-vitrine, grand aquarium. Des indiscrets collaient leurs faces abjectes contre le verre. Lui, au musée d’histoire naturelle, présentait son pied bot appareillé, comme un être de cirque jongle avec sa fragilité toute humaine. Pour tout dire, sous ses yeux horrifiés, ils branlaient leurs tickets d’entrée pour ce cabinet de curiosité. C’est ainsi que peint Jean Marie Salanié. Il puise dans l’enfance blessée puis oublieuse, la matière charnelle d’une pensée duelle. Celle de la nature malmenée par l’homme ou que la nature estropie à son tour. Anne Blayo